Suite du scénario (Pv Kozue)

Ren fut entraîné par Kozue ailleurs. A vrai dire, il ne savait pas où, et il doutait qu'elle le sache non plus. Elle prononça le prénom de Yumi. Qui pouvait être cette Yumi ? La fille qui était partie en ambulance s'appelait Chiyoko, pas Yumi. Il ne relava pas, tout était bien trop bizarre pour qu'il puisse s'exprimer là dessus. Elle allait ramener des secours. Pour quelle raison ? Il n'y avait pas besoin de secours, et si la police arrivait, il aurait encore des ennuis. Il se laissa donc entraîner ailleurs. Il eut l'impression de marcher derrière Kozue pendant des heures, silencieusement, tentant de s'éloigner le plus possible de cette ruelle mal éclairée où il s'était passé tant de choses, des choses si floues pour lui mais gravées dans la mémoire des autres. Mais elle s'arrêta brusquement, se retourna, et annonça à Ren qu'il avait un problème, avec un air grave. Haha. C'était évident. Il rit intérieurement. Bien sûr qu'il avait un problème, un problème qui serait bien plus éprouvant à régler que prévu. Elle dit ensuite qu'avoir une personne avec soi était bénéfique. Véridique, si cette personne était suicidaire et voulait rester avec quelqu'un plongé dans la folie. Elle promettait de l'aider. Comment ? Il était là, le problème, ça faisait bien trop longtemps que ces incidents arrivaient, et que personne n'y avait rien pu. Il riait encore intérieurement, c'était un défi impossible à relever, il partait avec une défaite en tête. Elle le fixa un moment; il baissa les yeux. Il ne pouvait soutenir son regard sur le moment, sa culpabilité lui rongeait les os, et il ne voulait pas le laisser transparaître dans ses yeux.

Ils arrièverent bientôt devant le Temple d'Ueno. Les cerisiers bordant l'allée d'arcades avaient refermé leurs bourgeons, et quelques pétales jonchaient le grand escalier qui menait aux portes du Temple. Ren s'assit sur ces dernières, attendant que Kozue lui demande des explications. Il n'était pas bien dur de voir ce qu'elle voulait, et il l'avait lui même deviné. Si elle s'attendait à ce qu'il lui explique tout, elle pouvait attendre bien longuement, puisqu'il ne se souvenait de rien. Il partait encore une fois avec un train de retard sur le destin. Il était bloqué. Il prit sa tête dans ses mains, et réfléchit longuement, essayant de chercher dans les méandres de sa mémoire ce qui avait bien pu se passer, mais rien ne lui revenait. Il avait tout oublié, du moins provisoirement. Tout lui reviendrait sans son sommeil, comme toutes les autres fois, d'une manière affreusement exagérée. Il profita de ce silence soudain pour rouvrir les yeux, et dire :

Il ne savait toujours pas de quoi il s'excusait prioritairement, mais la manière dont Kozue et son frère s'étaient battus lui avait fait l'effet d'un coup de poignard dans le dos. Comme si un serpent avait planté ses crocs dans son cou, déversant dans son sang une multitude de remords qu'il lui était impossible d'affronter. Il resta les yeux plongés dans le grand escalier du Temple, il ne se sentait pas de soutenir le regard de Kozue. De toutes façons, il faisait nuit noire, les étoiles étaient cachées derrière un ciel trop nuageux, et il avait beau ouvrir grand les yeux, il ne voyait rien que l'obscurité permanente qui régnait autour d'eux.

Il avait dit ça sur un ton parfaitement ironique, son intonation pesée, pour qu'une nuance d'amertume se ressente dans sa voix. Et c'était véridique, cette situation lui était arrivée plusieurs fois, dont deux notables : la fois où il avait réduit en cendres une des plus grandes forêts du Kansai à lui seul, et la fois où la moitié de son lycée de l'époque avait disparu par sa faute. Il ne connaissait ces scènes qu'à travers les vidéos des caméras de surveillance, ou les récits des pompiers. Il lui était arrivé aussi plusieurs fois d'avoir quelques flashbacks effrayants une fois de retour sur les lieux carbonisés, des flashbacks sous la forme de visions très courtes en noir et blanc, des visions qui le terrifiaient. Certaines se manifestaient même pendant son sommeil. Il redoutait déjà sa prochaine nuit au centre .. Il se repasserait sûrement inconsciemment la scène dans sa tête, en boucle, jusqu'à se réveiller violemment et ne se souvenir de rien. Tout était toujours comme ça, de toutes façons. Il soupira. Il doutait vraiment de pouvoir supporter encore une fois tout ça seul. Mais, une minute .. Il n'était pas seul, non. Il y avait Kozue, et même s'il devait passer pour un fou à ses yeux, il lui confierait tout ce qui se passait dans sa tête. Même s'il s'en voulait déjà de compter tant sur la jeune femme, il serait incapable de s'en sortir tout seul une nouvelle fois. Il releva le visage, et lui dit :

Il sourit intérieurement; s'il avait eu assez de courage pour lui pose une question pareille, il pourrait peut-être s'en sortir. Après tout, il n'y avait rien de mieux que l'espoir dans les cas les plus désespérés. Et puis, Kozue comprendrait sûrement. Même s'il avait terriblement peur d'être repris par cette force surnaturelle et de menacer la vie de la jeune femme. Même s'il savait qu'il devait rester le plus loin possible d'elle, jamais il n'en aurait la force, elle lui était déjà bien trop précieuse. Elle prit la parole à nouveau, annonçant qu'elle était prête à sacrifier un peu de sa chair au feu pour aider Ren. Il ouvrit grand les yeux. Pourquoi était-elle si gentille avec lui, alors qu'il ne la connaissait qu'à peine, et qu'il avait sûrement fait quelque chose d'horrible sous ses yeux ? Pourquoi avait-elle accepté de mettre en péril sa relation avec son frère fraîchement retrouvé seulement pour lui ? Pourquoi lui était-elle déjà si chère ? Il ne comprenait pas .. Jamais quelqu'un ne serait allé si loin pour une personne avec qui elle avait seulement passé quelques heures. Il ne comprenait franchement plus rien, et se poser tant de questions lui faisait tellement mal à la tête qu'il sentait qu'elle exploserait d'une minute à l'autre.

Il avait dit ça sans grande conviction. Bien qu'il ne voulait pas la déranger tant que ça, il savait qu'il aurait besoin de son soutien.

Kozue soupira. Ren ressentit encore cet effet affreux, ce poignard glacé qui vous pénètre entre les muscles intercostaux du dos et vous gèle les litres de sang avoisinant la zone blessée. Tout ça serait vite trop pour la pauvre jeune fille, qui n'avait rien demandé à personne. Il soupira lui aussi, qui était-il pour lui infliger ça ? Il regarda longuement ses mains, avant que Kozue ne prenne la parole. Le jeune homme se prit encore un couteau dans le dos. Il avait fait bruler des animaux, et tenté de tuer une femme ? Il se sentait encore plus responsable. Il aurait vraiment souhaité que Takumi l'achève sur le coup, dans la ruelle. Ren ne se sentait plus que comme un énorme fauteur de troubles. Il ne faisait que rendre les gens malheureux. Il s'en voudrait encore plus si Kozue avait été directement touchée. Maintenant, tout ce qu'il voulait, c'était s'excuser auprès de cette Chiyoko, voir même de Takumi. Il se sentait tellement honteux ..

Rien n'était clair dans sa tête, comme souvent. Il passait tant de temps à réfléchir alors que la plupart du temps il ne comprenait rien. La façon dont Kozue faisait claquer ses mots dans le silence de la nuit l'avait marqué, et il entendait encore en pensée l'intonation de sa voix dans ces trois simples phrases. Tout ceci confirma l'opinion que Ren se faisait de lui même; il était dangereux. Sa place n'était pas dans un centre pour délinquants, mais bien dans un hôpital psychiatrique, étant donné que même lui même ne savait pas ce qui se passait quand il était prit dans un élan de folie. Kozue reprit la parole, elle avait comprit dans la voix du garçon qu'il avait promit dans le vent. Ren soupira. Il était si prévisible qu'il se faisait peur lui même. Il rétorqua, d'une voix forte :

Sa voix s'étrangla dans sa gorge tandis qu'il tentait de prononcer la suite de sa phrase. Il essaya, mais ne produit qu'un misérable son même pas audible. Il souffla un instant, reprit sa respiration, et continua :

Il se poignardait lui même le dos en prononçant ces mots. Il sentait déjà les larmes lui monter aux yeux. Il ne le voulait pas. Il ne voulait pas avoir ces élans de folie, il ne voulait pas s'éloigner de Kozue, mais rien que de s'imaginer lui faisant du mal, la faisant même simplement pleurer une seule larme lui était impossible. Encore une fois, il devrait s'éloigner de ceux qu'il aime pour leur bien. Après tout, il serait mieux seul dans une chambre d'hôpital attaché à un lit. Il serait mieux au milieu de tout ce blanc immaculé. Les draps, les murs capitonnés, la blouse des docteurs, tout jusqu'au carrelage ne serait que blanc. Il se souvint soudainement d'un séjour qu'il avait fait dans un endroit pareil. Il était presque devenu fou. Tout ce blanc lui était insupportable. Ren prit peur. Si quelqu'un apprenait ce qui s'était passé, il devrait encore retourner dans cette chambre cauchemardesque. Il se resaisit, il ne se laisserait pas aller dans des pensées morbides maintenant, non, il devait rester conscient. C'était essentiel.

Kozue insista. Elle était déterminée à aider Ren, apparemment; mais lui ne voulait pas la déranger plus. Il ne se faisait pas à l'idée que quelqu'un puisse lui consacrer ne serait-ce qu'un peu d'attention, de compassion. Il était avant tout quelqu'un d'assez solitaire, on n'aimait pas trainer avec les mecs de son genre, et il s'y était habitué, au fur et à mesure. Son visage était indécodable, un 404 not found général avait prit place sur ses fins traits. D'après elle, elle n'avait jamais rien eu de pire que des coups, et c'était justement ce qui inquiétait Ren. Il pourrait lui arriver, un jour, d'essayer de mettre le feu à quiconque se mettrait sur son chemin. Et puis Kozue avait déjà assez de problèmes avec ces trafiquants de drogue pour qui elle travaillait. Plus le temps passait, plus il se rebutait. Il serait de plus en plus dur de lui faire changer d'avis, maintenant qu'il s'était fondé une idée sur le sujet.

Elle vint se planter devant lui, ses magnifiques yeux si profonds lui enfonçant à nouveau un poignard entre les côtes. Il ne les comptait plus, désormais. Elle lui dit qu'elle était sérieuse, et prononça son prénom complet. Il se prit un autre coup de couteau, c'était la première fois qu'elle l'appelait autrement que « Ren », et cela avait pour effet de démontrer son sérieux. Il frissonna, elle avait un don pour le mettre mal à l'aise, quand elle prenait ce genre d'airs. Kozue poursuivit en déclarant qu'elle aurait peur des autres pensionnaires si on l'envoyait dans un asile.

Il avait dit ça en riant ironiquement. Il n'y avait pas grand chose de drôle, mais il devait détendre l'atmosphère, et trouver un moyen de fuir le regard de Kozue; Kozue qui, à ce moment là, scella sa promesse envers lui dans un baiser. (Oulala, je lis trop de Zola moi. --') Il sentit le feu lui monter aux joues, comme à chaque fois qu'elle se trouvait à moins de cinq centimètres de son visage, et baissa les yeux pour éviter d'exposer sa timidité. Après tout, il était quelqu'un d'assez réservé et avait du mal avec les autres êtres humains, et même son indéniable attirance envers Kozue ne pouvait faire éclipse à sa timidité maladive. Il contempla ses mains, comme il en avait l'habitude dès qu'il était trop mal à l'aise, et attendit que quelque chose se passe.

La voix de Kozue était devenue froide, ses fréquences descendant brusquement dans les basses, avec un sérieux étonnant. Elle tourna le regard vers Ren, qui sentit encore ces poignards s'enfoncer dans sa colonne vertébrale. Il écouta ce qu'elle avait à dire, et qui par évidence n'avait rien de réconfortant. Il se leva, s'alluma une cigarette pour se détendre un peu, mais rien n'y faisait. Il ne savait plus quoi faire, et son indécision prenait tant de place dans son esprit qu'il sentait sa tête gonfler au fur et à mesure que le temps passait.

C'est vrai qu'il était resté seul depuis son arrivée dans la capitale, pas qu'il soit asocial, ou quoi que ce soit, mais qu'il n'avait simplement pas envie de sortir. La compagnie de la majore partie des gens le répugnait, et il n'avait aucune honte à l'avouer. Rares étaient ceux qui gagnaient son amitié, ou encore mieux : sa confiance. Il n'avait pas agi différemment des autres villes, il se mettait lui-même à l'écart et en était conscient, depuis l'incident du lycée. Il aurait pu tuer quelqu'un. Il soupira, recrachant en même temps la fumée. Il se leva, se rapprocha de Kozue, qui se remit à parler, de cette même voix glaciale. Elle décrivit promptement ce que c'était que la vie en hôpital, et il ne put s'empêcher de rire, il ne le savait que trop bien. Ses séjours avaient été courts mais vraisemblablement éprouvants; il ne se souvenait de rien.

Et alors il ne contrôla plus rien. D'un geste vif, il attrapa l'épaule de Kozue, la bloqua contre le mur glacé. Ses dernières paroles criaient une vérité qu'il avait tant de mal à accepter, et l'insolence de la jeune fille lui avait fait perdre son sang froid. Il la fixa d'un regard transperçant, priant pour qu'elle ressente aussi cet effet destructeur, celui qui vous plantait des couteaux entre les vertèbres. Il approcha son visage, tout près de celui de Kozue, et murmura :

Il la lâcha, attendant une quelconque réaction, mais face à son silence, il ne put que poursuivre, d'une voix grave :

« Si j'agis comme ça, c'est pour ne déranger personne. J'ai toujours été quelqu'un d'embarrassant, je suis incontrôlable. Ma mère en avait tellement marre de moi qu'elle m'a envoyée au centre pour délinquants. Elle ne me supportait pas, mon hyperactivité la poussait à la déprime. Quand à mon père, je ne me souviens même pas de lui, il vivait presque au bureau. Il m'est arrivé de faire bruler un lycée entier, deux personnes ont été sauvées de justesse. Je n'ai jamais supporté mes actions et j'ai préféré me tenir à l'écart de tout le monde. Le public me fait peur, je panique, je me mets dans un état de crise, et il me faut quelque chose pour me calmer. Le feu m'a bien aidé sur ce point là. Seulement dès que ces crises sont terminées, je ne me souviens de rien, absolument rien. C'est assez flippant, comme sensation. Alors je reste enfermé au centre, ou je marche dans la rue en regardant mes pieds. Il n'y a pas grand chose à expliquer, à part qu'il est dangereux de rester près de moi; la preuve : toi et ton frère. En seulement dix minutes j'ai réussi à tout foutre en l'air, alors que tout allait bien. Maintenant, si ça te plaît de te sacrifier pour moi, je ne peux te retenir, mais je t'aurais prévenue. Quand à l'asile, y aller ne me dérange pas, puisque de toutes manières ta sécurité et celle de tes amis n'en serait que renforcée. »

La question se posa à Ren, pourquoi avait-il raconté tout ça ? Il n'en avait pas la moindre idée, mais avoir été un minimum honnête avec Kozue l'avait détendu. Maintenant, il savait que ça dégénèrerait sûrement, et se préparait psychologiquement aux conséquences de son emportement. A contre-cœur, il retourna s'assoir sur les marches du temple.

Kozue n'avait même pas réagi. Son expression était indéchiffrable. Elle se remit à parler; elle parlait de solitude. Pourquoi parlait-elle de solitude, à la fin ? Qu'en savait-elle ? D'où pouvait-elle simplement déduire que la solitude avait été néfaste au jeune homme ? Il l'avait choisie lui même, cette solitude. Il soupira une nouvelle fois. Sa tête allait exploser d'une minute à l'autre; il sentait comme une armée de petits bonshommes galopant sur ses neurones et les frappant à coups de marteaux. Alors comme ça, elle ne s'opposerait pas à ce qu'il parte à l'asile. Elle se contredisait, il déduit promptement qu'elle était au moins aussi énervée que lui. Mais elle posa une condition : elle ne viendrait plus vers lui.

Ren soupira. Cela n'avait servi à rien. Son but principal était de se débarrasser de ces douleurs dans le dos, ces coups répétitifs dans ses cervicales, mais rien n'y faisait. Les mots de Kozue le blessaient toujours autant. D'ailleurs, il commençait à se poser des questions. Pourquoi sentait-il son cœur s'ébrécher, là, en entendant simplement les paroles de la jeune femme ? La réponse était simplement devant lui. Et il le savait très bien, au fond de lui-même, même si il se refusait à l'avouer. La réponse était à la portée de sa main, et cette réponse était qu'il l'aimait. Il aimait Kozue, c'était indéniable. C'était même inéluctable. Il aurait pu lutter contre ce sentiment, il aurait été bien trop faible face à lui.

Elle se releva, leva les yeux vers le ciel. Qu'attendait-elle de lui, maintenant, dans la nuit noire, dos au jeune homme ? Et lui, comme d'habitude, n'eut même pas le courage ne serais-ce que de lever les yeux et de regarder la silhouette de Kozue dans la pénombre. Puis elle se remit à parler, mais d'une voix différente. Elle n'était plus la même, non, la nuance de méchanceté dans son ton avait disparu au profit d'un étranglement à peine perceptible. Elle continuait à poignarder Ren comme elle le faisait si bien, chacun de ses mots enfonçant le couteau plus profond dans son épine dorsale; il ne se remit pas même du dernier. Un « sayonara » pesant. Etait-ce un adieu, un au revoir, Ren n'en savait rien. Mais ce dont il était sûr, c'était qu'il ne la laisserai pas partir comme ça, non, ses sentiments étaient trop forts. Il avait aussi cru entrevoir ces perles sous ses yeux, ses larmes dont il était encore une fois l'auteur. Il aurait aimé prendre une gomme et les effacer, comme sur un dessin trop parfait pour être triste. Alors la seule chose qu'il eut le temps de faire fut d'attraper la main de Kozue. Il l'attira contre lui, et lui enserra la taille de ses bras. Le coeur du jeune homme s'accéléra, comme dans cette nuit, ce soir là; c'était exactement pareil. Et c'est là qu'il comprit l'étendue de ses sentiments.

Il devait se l'avouer, passer outre toute sa fierté, sa complaisance dans la solitude, et tout le reste, car il n'y avait plus qu'elle. Celle qui était là, entre ses bras, des larmes au coin des yeux. Il ne songea même pas à faire le plus petit des mouvements, il aurait même souhaité que le temps s'arrête ici, qu'ils soient coulés dans le béton sur ces marches, devant ce temple, devant la ville entière. C'aurait été une si belle leçon de vie pour tout le monde. Il posa sa tête sur l'épaule de la jeune fille, respirant dans son cou, contre sa peau.

Les étoiles n'étaient presque plus visibles, et à vrai dire, Ren s'en foutait complètement. La conséquence en fut les premières gouttes qui tombèrent du ciel pour s'écraser lentement sur le sol, et accessoirement sur lui même et Kozue. Cette pluie qui continuait à tomber, tomber, accélérant le rythme, pendant plusieurs minutes, devenant semblable à celle qui tombait le soir de leur rencontre. Elle était puissante, elle était forte.

Ren retourna Kozue pour lui faire face. Il la fixa un instant, apercevant brièvement ses larmes, et la serra contre lui. Il la serrait tellement qu'il aurait pu lui briser les épaules à n'importe quel moment. Son souffle dans son cou avait une capacité bienfaisante sur lui, il l'apaisait, le rassurait. Il ne pensait même pas à s'en séparer. Mais la pluie était de plus en plus forte, et Ren ne put même pas entendre les paroles que lui adressait Kozue, bien qu'il sut précisément ce qu'elles contenaient. Il l'écarta de lui, la regarda encore une fois, et lui sourit. Elle commençait à être trempée, et lui aussi, par la même occasion. Il la prit par le poignet, et commença à gravir les marches du temple, vers celui ci. Ils pourraient sûrement s'abriter sous le toit. Le vacarme était à son maximum, sa visibilité était quasi nulle. C'était à peine si ce n'était pas un exploit pour eux de réussir à monter ces interminables marches. Glissantes, de surcroit. Ils en finirent, finalement, indemnes, et Ren alla s'assoir sous le rebord du toit, entraînant Kozue avec lui.

Il la serra contre lui; tout allait s'arranger, et tout ça grâce à elle. Il ne faisait même plus attention à la pluie, au bruit avoisinant, rien n'était important à ses yeux. Rien ne pouvait être plus important que l'être collé à son épaule.

La pluie était incessante. Ses gouttelettes grises ne s'arrêtaient pas de tomber, elle était même de plus en plus forte, produisant un brouhaha assourdissant. Il n'y avait même plus de place pour le silence. Les étoiles n'étaient même plus visible, même si le jour pointait à l'horizon. On se serait cru dans un tableau en noir et blanc. Une immense photographie ancienne, où on voyait que n'importe quoi pouvait être dominé par une si forte pluie. Même un immense feu aurait été éteint en quelques secondes, avec un déluge pareil. Le sol commençait à se couvrir d'une épaisse couche d'eau, ruisselant vivement jusque dans des crevasses, formant tout un tas de flaques, dans lesquelles Ren s'amusait souvent à sauter. Mais il faisait bien trop froid pour aller se tremper dans les flaques, alors Ren renonça à cette idée. Il préférait de loin la douce chaleur qui émanait de la main de Kozue, serrée contre lui. Il détailla ses traits pour la énième fois, à ce rythme là, il les connaîtrait par cœur.

Seulement Kozue rompit ce silence assourdissant, effaçant de sa voie le clapotis des gouttes s'éclatant sur le sol. Elle confirma sa pensée; il était dangereux, elle l'aiderait, elle resterait avec lui. Mais resterait-elle seulement avec lui ? Il commençait à douter, ce qui était très mauvais de sa part. Il voulait éviter ça, chasser cette idée de son esprit, mais rien ne put lui enlever cette image; elle et un autre. Il se mordit violemment la lèvre. Après tout, elle ne lui appartenait pas, elle était un être à part entière, mais il avait cette inéluctable envie qu'elle ne soit qu'à lui tout seul. Était-ce une envie naturelle ou pas, il n'en savait rien. A vrai dire, il lui était rarement arrivé quelque chose de pareil, avoir son âme reliée à celle de quelqu'un d'autre aussi fortement en si peu de temps, ce n'était pas vraiment routinier pour lui. Et il en était plutôt effrayé, son attitude propre lui faisait peur. Il avait peur de réagir violemment, peur de rechuter, et d'être violent avec elle. Il savait qu'il ne se le pardonnerait pas, et faisait tout pour l'éviter, mais sentir ses vaisseaux imploser sous sa peau à cause d'un surplus de sang dans ceux-ci le poussait à bout. Et il tentait de se calmer, mais le bruit de la pluie résonnant dans sa tête n'était pas des plus relaxants. Il se détourna de ses pensées pour se concentrer sur Kozue, et parcourir son visage du regard, encore une fois. Il ne s'en lassait pas. Ses yeux pétillant derrière une bride évidente, ses lèvres fines entrouvertes, tout était magnifique. Il ne put pas même décrocher son regard de ses traits délicats; elle semblait provenir des mains des Dieux. Elle ne pouvait être qu'une sorte de créature divine, peut-être même un ange. Ren rit de lui même. C'était stupide. Les choses métaphysiques n'étaient pas tellement son genre, et puis de toutes façons, on lui avait toujours dit que les anges n'existaient pas.

Il soupira. La tension s'était quelque peu dissipée, et il y voyait déjà un peu plus clair. De plus, la pluie semblait décidée à se calmer un peu. Il contempla ses mains, joua un peu avec, et attendit longuement.

Kozue se mit à parler. La pluie s'étant calmée, le bruit s'était dissipé, et il n'était plus impossible de comprendre quelque parole que ce soit. Kozue venait donc tout juste de demander à Ren d'où il venait. Il sourit. Ça faisait bien longtemps qu'il n'avait pas mit les pieds dans sa ville natale, ni même vu ses parents. De toutes façons, même si il y allait, son père l'implorerait de repartir immédiatement, couvert de honte, et sa mère ferait comme si il n'existait pas. Il serait transparent, clair comme de l'eau de roche; invisible. Il faisait plutôt mauvais, là bas, en hiver. Pas froid, juste humide. Ça n'était pas vraiment différent d'ici, après tout. Il répondit, d'une voix claire :

Il revit en pensée certains endroits dans lesquels il aimait bien traîner. Ce vieil immeuble désaffecté, que l'on remarquait de loin grâce à ses peintures bleu claires, et la forêt, qui n'était plus. C'avait été une immense forêt remplie de toutes sortes de conifères, de plantes sèches, et de nids de guêpes cachés dans les arbres. Il avait d'ailleurs eu toutes sortes de problèmes avec ces dernières, enfant.

Mais finalement, beaucoup de choses ne lui revenaient pas. Il ne se souvenait plus bien de ce qu'avait été son enfance, il n'y avait aucune trace de son école primaire dans son esprit, et il aurait payé cher pour retrouver une partie de ces souvenirs. C'était un temps où il n'avait pas encore ces crises qui lui pourrissaient la vie, ces épisodes sombres où il n'était même plus lui même. Toutes ses préoccupations étaient focalisées sur la couleur avec laquelle il allait colorier son lapin le lendemain. Il opterait pour le rose, bien entendu, et se ferait encore insulter. « C'est évident que le rose est une couleur de filles. » après tout.

La pluie se stoppa net, le sortant de ses réflexions. Elle s'était décidée à s'arrêter, finalement. Les nuages s'écartaient, laissant apparaître une lune brillante sur l'horizon, tombant derrière ce qu'il devinait être le mont Fuji. Il n'avait jamais remarqué qu'on le voyait d'ici. Mais Kozue reprit, l'arrachant à sa rêverie. Elle rit doucement, et Ren fit de même. Il ne devait rien lui épargner. Se rendait-elle compte qu'il n'y avait rien de plus difficile que de savoir la personne qu'on aime constamment en danger et de ne rien pouvoir faire puisque c'est sa volonté ?


Kozue s'approcha de son visage, frôla ses lèvres desquelles il s'empara immédiatement. Il avait confiance en elle, elle avait promit qu'elle resterait avec lui. Et il espérait toujours aussi secrètement que tout reste pareil pour toujours; pour une fois, il se sentait bien. Il avait un cœur sur lesquels se synchroniser, une respiration à imiter, des lèvres à frôler, tout un être de perfection à admirer; et c'était ce qui lui avait manqué pour vivre pleinement jusqu'ici.

Kozue entraîna Ren vers les flaques d'eau auxquelles il pensait précédemment. Elle commença à s'amuser dedans, ses chaussures devenant de plus en plus humides, et elle avait l'air de ne pas s'en soucier. Elle donnait des coups de pieds dans la petite surface d'eau, des spirales perturbant son reflet dans celles-ci. Il sourit, on aurait dit une enfant. Elle commença à lui poser des tas de questions sans lui laisser une seconde de répit pour y répondre. Elle se stoppa après « chaud ou froid. » Elle avait évidemment posé cette question sur le coup sans penser réellement aux conséquences de celle ci. Mais si Ren devait « ne rien lui épargner, » il en était de même pour elle, et une simple question ne l'horrifierait pas. Après tout, ce n'est pas en se voilant la face qu'on évite les problèmes. Alors il commença à répondre.

Il lui fit un sourire indulgent, tout le monde pouvait faire des erreurs. Kozue continua, elle lui demandait d'en dire plus sur lui. Des choses anodines, des habitudes, peut-être. Il n'était pas tant que ça du genre à parler de sa vie, mais il ne pouvait résister à l'air suppliant de Kozue.

« Je bois beaucoup de jus d'orange. » dit-il stupidement. « A vrai dire, je ne bois presque que ça. Je suis quelqu'un d'assez ... surexcité. Les psychologues se sont entêtés à dire que je suis hyperactif, mais je pense juste que je ne sais pas me concentrer. »

Kozue lâcha sa main, et se dirigea vers une flaque un peu plus grande que les autres. Elle mit un énième coup de pied, et éclaboussa le jeune homme. Il riposta aussi tôt, et arrosa la jeune fille en sautant dans la flaque; mais il s'arrosa lui même un peu plus par la même occasion. Le bas de son jean était complètement trempé, et ses chaussures aussi. Il attraperait sûrement froid, mais était-ce vraiment important, après tout ?

Kozue sauta sur le dos de Ren, entourant de ses jambes la taille du jeune homme. Il saisit ses cuisses histoire qu'elle ne tombe pas, et, directement après, se jeta dans une flaque. L'eau s'envola jusque sur les pieds de Kozue, et finit de tâcher complètement le pantalon du garçon. Et finalement, elle se remit à parler, posant une question plutôt anodine mais déclenchant un cruel dilemme dans l'esprit du jeune homme. Quel était son travail. Il avait donc deux possibilités : lui mentir, ou tout avouer. La solution « rester vague » lui plaisait bien aussi, mais il savait qu'elle ne passerait pas deux fois. Il se résolut donc à tout lui dire, sans vraiment rentrer dans les détails. De toutes façons, ce n'était pas nécessaire.

C'était le poids juste : il n'avouait rien de trop gênant et en disait juste assez pour être compris. Et si elle ne comprenait pas, il se dévouerait et lui expliquerait tout. Il ne voulait pas lui mentir, comme elle ne lui avait pas menti pour son trafic de drogue; il lui faisait confiance et réciproquement. De plus, elle était au courant de choses bien pires à son sujet, comme ses tendances pyromanes et ses pseudo pertes de mémoire.

Kozue reprit la parole. Elle ne comprenait pas comment on pouvait juger quelqu'un comme ça, sans même avoir cherché à connaître sa vraie nature. Il voulut lui dire que hélas, tout le monde n'était pas intelligent et ouvert d'esprit, mais il ne fit rien. Il fit descendre Kozue, et la retourna face à lui, les mains sur les épaules. Il y eut un silence, puis un soupir. Ce n'était ni un soupir d'ennui, ni même de réflexion, mais un de ceux que l'on ne peut qualifier. Ceux qui n'avaient pas vraiment de sens; ceux qui sont là pour briser le blanc qui s'installe.

« De toutes façons, ne te fais pas de souci, je n'ai pas l'intention de me faire interner .. » avoua-t-il d'une voix doucement faible. « Tu me manquerais beaucoup trop. »

Il baissa les yeux. Les aveux étaient difficiles, mais il savait que l'on ne se sentait que trop bien après avoir relâché tout ce qui pèse sur le cœur. Il saisit Kozue par les épaules, et la serra contre lui. Et, tout à coup, le froid qu'il avait ressenti l'instant précédent s'effaça. La sensation que lui procurait cette étreinte soudaine était tellement indescriptible, qu'il comprit que ses soupçons étaient fondés. S'il était enfermé dans un hôpital loin de Kozue, il mourrait de froid. Et, peu à peu, le temps s'écoulant aidant les choses, son cœur se cala sur celui de Kozue, et ses mains se resserrèrent autour des épaules de celle-ci. Et puis, soudainement, il se recula un peu et chercha les lèvres de la jeune fille. Il s'empara de celles-ci tout en serrant Kozue plus fort contre lui. Il ne pouvait déjà plus s'en passer.

Ren espérait que son honnêteté ne lui causerait pas de tord. Mais après tout, que pouvait-elle dire ? Elle dealait de la drogue, alors que lui, n'en consommait qu'à peine. Mais pas si étonnamment que ça, elle lui dit de ne pas avoir honte. Avoir honte, ce n'était pas vraiment ça le problème. D'ailleurs, il se creusait la tête pour rien, puisqu'il n'y avait pas vraiment de problème. Alors il ajouta, en riant d'un air un peu gêné :

D'ailleurs il se souvint pourquoi il avait choisi ce job. C'était un travail facile, où il n'avait rien à faire que déblatérer quelques compliments hypocrites à des femmes solitaires. Le seul pré-requis était une quelconque beauté, chose qu'il ne lui manquait pas vraiment. (haha.) De plus, son mètre quatre vingt cinq le sortait du lot, les japonais étant normalement plutôt petits. Sa silhouette élancée et son androgynité lui donnaient un air de métrosexuel qui plaisaient aux clientes, et même si le travail en lui même était plutôt ambigu, sa facilité et le divertissement qu'il représentait empêchaient Ren d'en changer.

Kozue enfouit son visage dans le cou de Ren. Elle se remit à parler, elle ne voulait pas qu'il soit interné. Et il ne le voulait pas non plus. Non, il avait prit cette résolution, celle de se battre contre le destin; car il savait qu'on le pouvait. Il suffit d'être unis. Ren serra Kozue encore plus fort, espérant que toutes ses pensées entrent en contact avec l'esprit de la jeune fille, et qu'il n'ait pas à parler. Il la serrait tellement fort qu'il eut lui même peur de lui briser les épaules à force de rapprocher l'étreinte. Mais son esprit n'était pas doté de cette capacité à entendre les pensées des autres, et il doutait que Kozue en eut une pareille; il se résolut donc à s'écarter d'elle et lui dire :

Un sourire s'esquissa sur ses lèvres, tandis qu'il leva la main, l'auriculaire tendu. Après tout, on devait officialiser toute promesse, non ? Il saisit le petit doigt de Kozue, et se mit à chanter doucement, secouant de haut en bas la main au rythme de la chansonnette :