« spring is coming » (Pv Takumi)

C'était un matin comme les autres, à la différence près que la température oscillait entre deux et trois degrés en dessous de la moyenne saisonnale. Le soleil, fraîchement levé, éclairait le ciel avec des lueurs blanchâtres habituelles des jours où le froid revient. Chi avait marché de son studio jusqu'à Ikebukuro sans voir le temps passer; elle était partie alors qu'il faisait toujours nuit. Elle était maintenant assise sur un banc, en face d'une marre, où les oiseaux se posaient délicatement. Elle avait revêtu un grand pull en laine beige doré, une minijupe en jean, des collants opaque chocolat, et des escarpins à talons couleur bois. Elle avait laissé flotter ses cheveux ondulés sur ses épaules, et avait simplement attaché sa frange avec une barrette. Chi ne portait même pas de maquillage, elle était déjà assez belle comme ça. Elle soupira, elle s'ennuyait. Il commençait à faire froid, et le parc était désert. Finalement, elle regrettait d'être venue ici. Même les oiseaux désertaient, ils s'envolaient dans le ciel et se posaient loin d'ici. Chi était donc complètement seule. Elle sortit donc son mp3 et un paquet de Pocky de sa poche, et commença sa dégustation. Maintenant qu'elle écoutait de la musique, il pouvait y avoir une guerre nucléaire sous ses yeux, elle s'en foutrait. Mais voilà, comme tout, sa batterie avait une fin, et après plus d'une heure d'écoute intense, elle mourut bravement. Chi soupira encore une fois. Il n'était que sept heures et demi, les commerces n'étaient pas ouverts, elle ne pourrait même pas aller faire un tour à Shibuya, ni rentrer en train puisqu'elle n'avait de toutes façons pas prit d'argent.

Elle soupira encore une fois, et commença à nourrir un canard qui était resté là avec ses Pocky à la fraise. Mais comme les autres, il partit. Chi était vraiment seule, comme si elle s'attirait la poisse. Elle retourna s'assoir sur le banc, de toutes façons, cela ne servirait à rien, jamais elle ne parlerait à personne. Elle ne s'était fait aucun ami en deux longues années dans la capitale, et ce n'était pas prêt de changer depuis qu'elle avait vingt ans. Elle était sûrement maudite, après tout. Mais elle laissa tomber ses pensées pessimistes une minute pour tourner son regard sur .. la personne qui s'était assise sur le banc à côté d'elle.

Chi observa la personne en question. C'était un jeune homme, pas bien plus vieux qu'elle, avec des cheveux marrons et des yeux semblables. Ses cheveux étaient d'ailleurs encore mouillés. Elle détourna les yeux vers le canard qui revenait à la charge, déjà habitué aux Pocky. Elle regarda le jeune homme. Il était plongé dans les yeux de la jeune fille, mais son regard la rendait étrangement fébrile; elle avait du mal à le supporter. Il lui adressa un bonjour, auquel elle ne répondit pas. Elle avait peur que sa voix ne s'étrangle dans sa gorge, qu'elle ouvre la bouche, mais que rien ne sorte. Mais il revint à la charge. Il tendit une de ses longues mains et s'empara d'un pocky à la fraise, avec une phrase que Chi ne pouvait ignorer.

- Bien sûr que non. répondit-elle. Ce canard est un être vivant, au même titre que vous et moi, et il a le droit à autant d'attention que n'importe quel être vivant.

Elle avait dit ça froidement, comme d'habitude. Elle n'était pas d'humeur à parler, et encore moins à un homme, mais le bon point était que sa voix ne s'était pas coincée dans sa gorge, elle lui avait même très bien répondu. Elle reprit le pocky de la main du jeune homme et le croqua sous ses yeux. Elle se demandait comment il réagirait, prendrait-il ça comme un jeu, un défi; ou se renfrognerait-il, et partirait-il ? Cela l'amusait déjà vraiment beaucoup, bien qu'elle ne laissa rien transparaître. Elle était devenue une experte en la matière, tant qu'on lui demandait souvent si elle ressentait vraiment quelque chose. On l'avait même brûlée une fois pour voir si elle sentait la douleur. Elle abandonna ses pensées négatives, et reposa son regard sur le jeune homme, attendant une quelconque réponse de sa part. Elle prit un autre pocky, qu'elle croqua une nouvelle fois, le regard plongé dans celui de l'inconnu. Il l'intriguait déjà, bien qu'elle n'ait remarqué sa présence que depuis quelques secondes. Elle replongea son visage dans son écharpe, les mains sur les genoux, et attendit simplement.

Chi coupa son mp3, l'homme semblait d'humeur bavarde. Il la fixa, et répondit à son semblant de phrase. Le canard était donc un simple animal pour qui l'instinct de survie était essentiel, c'était certes véridique, mais il avoua lui même que c'était plutôt prétentieux. Il avait encore une fois visé juste. Chi lui lança un regard en coin, le visage à moitié enfoui dans son écharpe.

- Il aime ça. La preuve, il en redemande.

Elle tendit un pocky au canard qui se jeta dessus. Il en redemandait encore et encore, ce qui embêtait franchement Chi; elle voulait en garder pour elle même. Mais elle se fit voler encore une fois le pocky qu'elle s'apprêtait à manger par l'homme à côté d'elle. En temps normal, elle aurait bouillonné intérieurement de rage, contenant tout, mais là, il faisait bien trop froid pour qu'elle ait juste une simple pensée énervée. Le jeune homme posa son regard sur le lac à peine dégelé en face d'eux, ce même lac où les oiseaux dansaient gracieusement. Elle appuya son dos sur le dossier du banc, et remonta son écharpe sur son nez, de façon à ce qu'on ne voit que ses yeux. L'inconnu reprit la parole. Les oiseaux, sûrement apeurés par sa voix grave rompant le silence, s'envolèrent délicatement. Il proposa à Chi de le tutoyer, et ajouta qu'il n'était pas si vieux que ça. Evidemment, elle ne répondit rien. Elle doutait qu'il soit nécessaire de préciser ce point étant donné qu'elle n'était pas du genre à taper la conversation avec un inconnu rencontré un matin dans un parc quelques minutes auparavant. Elle se contenta de lui jeter un regard en coin, et de mettre ses mains dans les poches de son pull. Le jeune homme se mit à rire soudainement, sûrement dérangé par le silence de Chi. Ce n'était pas le premier à faire ça, après tout. Il revint à l'attaque, en lui demandant son nom.

Les cordes vocales de Chi se contractèrent dans le fin fond de sa gorge, s'il y avait bien quelque chose qu'elle détestait, c'était son nom. Qui aurait souhaité porter un nom aussi détestable, et froid que le sien ? On pourrait même prendre peur en l'entendant. Allier les mots sang et massacre dans le même nom avait été quelque chose d'osé, et elle maudissait toujours ses défunts parents de lui avoir donné. Elle ne donnait presque jamais son nom complet, seulement un dévié de son prénom : Chii. Il ne signifiait rien, et était même plutôt mignon, même s'il ne lui correspondait pas tellement. Elle se retourna légèrement vers l'homme, et lui dit :

- Chii.

Elle avait encore une fois utilisé ce ton glacé des fois précédentes. Elle ne souhaitait pas tellement être antipathique, mais elle n'était pas du genre a crier sa joie partout. Sa petite voix aigue vide d'émotions ne laissait cependant personne indifférent; et le jeune homme avait lui aussi l'air intrigué par Chi.

Cette jeune femme était la plus étrange qui lui était du de croisé. Et pourtant, il y avait des cas sociaux au centre, ca ne manquait pas. Pourtant, elle semblait extrêment frêle, si jolie; une poupée. Une poupée défectueuse. Dis comme ça, cela peut paraître extrêment péjorative. Ce n'est pas le cas. Son charme était spéciale, attirant pour Takumi. Il l'observa du coin de l'oeil. Elle avait arrêté de nourir le canard, gardant ses délicieux pocky pour elle. Aussi, elle s'appuya contre le dos du banc, remontant son écharpe juste en dessous de ses yeux. Avait-elle froid ? Il est vrai que l'air était frais, et que le brun allait attrapé un rhume ayant les cheveux mouillés. D'ailleurs, il éternuma maintes fois; brisant le silence du parc. Elle lui avait dit son prénom, d'une voix aussi distante que précédemment. Chii. C'était mignon, ca lui correspondait bien d'après lui. C'était court, discrêt, simple. Il souria légèrement, toujours aussi à l'aise.

Cependant, il fallait trouvé quelque chose. Pourquoi ? Comment ? Il ne le savait guère. Mais, il voulait encore entendre sa voix. La voir s'animé... Etait-ce possible ? De toute facon, il n'avait rien d'autre à faire.

- C'est jolie Chii. Tu as aussi un jolie regard, lui avoua-t-il accompagné de son sourire en coin.

Evidement, elle resta muette. Il chercha autre chose avec une moue embêté sur le visage. Soudain ! Derrière un buisson juste en face de lui, il avait cru apercevoir quelque chose. Un geste vif, il se leva et courra vers ce coin de verdure. Il en tira un vieux vélo cassé. Durant plusieurs dizaines de minutes, il s'acharna à le mettre sur pieds. La graisse de la chaîne l'avait salit, mais comme un gosse, il était heureux. Heureux d'avoir trouvé un joujou, et de se rendre ridicule. Non. Ca il en avait pas conscience, jusqu'à ce qu'il hurle un "YATTA". Il grimpa sur la scelle, et vint devant Chii. Caricaturant le beau goss, il l'invita à prendre place derrière lui. Aucune réaction.

- Allez ! S'il te plait quoi... C'est pas drôle tout seul !

Le temps se rafraîchissait de plus en plus. Chi ne l'avait pas vraiment senti, cachée dans ses épaisseurs de pulls, mais le jeune anonyme, lui, avait les cheveux mouillés. Il éternua donc à plusieurs reprises. Chi le regarda discrètement, puis retira son écharpe, pour lui tendre sur le moment. Elle ne parlait pas vraiment, ne reflétait rien de concret, mais elle était quand même une personne attentionnée, et puis cet homme n'avait pas l'air méchant. Il pourrait même garder l'écharpe, elle en avait beaucoup d'autres. Mais maintenant, elle ne pouvait même plus se cacher derrière une masse de tissus, et devait exposer son visage et son cou à la vue de l'homme et de tout le monde en général. Son cou rempli de marques, tout comme ses mains, parties les plus abîmées de son corps. Mais elle ne releva pas ce point, pour concentrer son attention sur le garçon. Il la complimenta sur son surnom. Il trouvait ça joli. Chacun ses goûts, comme on dit. Elle, il lui donnait envie de vomir. Mais sa voix l'avait prononcé d'une manière particulière, une façon qui lui aurait presque fait oublier la signification première de son prénom.

« Merci. » dit-elle d'un air vide. « Mais tu ne m'as pas dit ton nom. »

Elle se pinça la langue. Elle ne voulait pas avoir l'air de s'intéresser à quoi que ce soit, surtout pas à cet inconnu. De toutes façons, jamais elle ne le recroiserait, et il oublierait sûrement Chi la semaine suivante.

D'un coup, il se leva, et accourut vers un buisson. Quelque chose brillait à l'intérieur. D'un coup sec, il tira sur l'objet, et en sortit un vieux vélo délabré. Les pneus étaient crevés, la selle était grasse, mais l'homme n'y prêta pas attention. Il s'assit, se salit, et sourit à Chi. Il lui demanda si elle voulait s'assoir avec lui, mais elle ne répondit évidemment pas. Elle l'ignora complètement, mais laissa quand même ses yeux posés sur lui. Il avait l'air d'un donjuan, attirant n'importe quelle fille dans ses filets avec son vélo trouvé. Elle rit intérieurement. C'était pathétique.

« Ce que tu fais n'a aucun intérêt, même si ça a l'air de t'amuser. » dit-elle doucement. Encore une fois, elle hésitait sur la façon dont il allait le prendre, mais elle ne voulait pas trop se rapprocher de lui, quitte à ne pas s'assoir sur ce vélo.

Elle souffla sur ses mains pour les réchauffer. Paradoxalement, plus le temps passait, plus il faisait froid. Elle s'attendait à quelque chose de différent d'Hinamizawa, son village souvent recouvert de neige, mais finalement, le temps était si détraqué que Tokyo n'était pas égal aux tropiques comme elle l'imaginait. Elle contempla ses mains, son regard s'attarda sur ses longs ongles décorés par de nombreux motifs, et sentit le regard du jeune homme sur elle. C'était un regard froid, vide. Le type de regards qu'elle aurait elle même lancé. Ce regard fut accompagné d'une remarque tout aussi froide. En guise de réponse, elle hocha simplement les épaules, sans même regarder le jeune homme. Après tout, il n'avait qu'à pas faire de trucs stupides; ça ne marchait pas avec Chi.

Il renoua l'écharpe autour du cou de la jeune femme, la regardant toujours de cet air vide, qui s'effaça malencontreusement de son visage pour laisser place à ce qu'on aurait pu interpréter comme de l'embarras. Il s'éloigna d'ailleurs d'elle pour aller de l'autre côté du banc, qui n'était pas si grand, cela dit. Puis le silence s'installa. Un silence froid et dérangeant, celui qu'on a envie de rompre à tout prix, mais personne ne fit. Un silence relativement brisé par le chuchotement du vent dans les cheveux des deux jeunes gens. Un silence qui fut interrompu par la voix grave de l'homme, qui se décida à donner son nom à Chii. Takumi. Un seul caractère signifiant « artisan » le plus couramment. C'était un joli prénom assez ancien, même si on n'en croisait pas tellement. A peine eut-elle fini son analyse qu'il ajouta qu'il s'ennuyait terriblement. Elle rit intérieurement, c'était tellement évident; aller s'amuser avec un vieux vélo sale était la preuve d'un ennui plus que profond. Mais quand il recommença à la fixer, elle regarda devant elle, et dit simplement :

« Il me semble que nous sommes tous dans ce cas. »

Et c'était criant de vérité. Plus personne ne vivait épanoui, d'amour et d'eau fraîche, au jour le jour, heureux. Et c'était bien dommage. Il y avait toujours cette tâche rouge sang sur le drap blanc immaculé de la vie; et certains de ces draps étaient eux entièrement rougis, voir noirs. Noirs de désir, noirs de honte; tout ce qui pouvait nuire à l'innocence des êtres humains n'était qu'un immense tâche noire s'amplifiant au fil des erreurs commises. Et c'était un noir indélébile, un noir qu'on ne peut passer à la machine, à moins qu'il déteigne. C'était ça, la vie. Du moins pour Chii. Elle mangea un pocky qui restait dans la boîte, accompagné de deux autres. Une fois fini, elle détourna les yeux vers Takumi, toujours fixé sur elle. Elle prit le pocky restant, et lui tendit, en signe de paix. Après tout, il n'avait rien fait d'autre qu'être spontané et elle l'avait cassé dans son délire; elle souhaitait donc s'en excuser. Elle attendit qu'il le prit, puis remit ses mains dans ses poches; il faisait tellement froid. Son écharpe n'était même plus suffisante, et elle commençait à grelotter. Même ses mains insensibles commençaient à rougir, et elle aurait prié pour un peu plus de chaleur; ou au moins de la neige. Chii adorait la neige, sa pureté, sa blancheur immaculée. Elle aimait la façon dont elle ne pouvait être salie, à moins de fondre automatiquement. Et, comme si les Dieux avaient entendu sa prière, un flocon vient de poser dans les cheveux bruns du jeune homme.